Un texte fondateur: Les métamorphoses d'Ovide

ORPHEE AU LYCEE PABLO NERUDA

Cette séquence pédagogique a été réalisée en Juin 2000 au Lycée Pablo Neruda de Saint Martin d'Hères, sous la direction de Madame Guyot, professeur de Lettres classiques, par les élèves de la classe de seconde latiniste, dont les prénoms suivent: Bastien, Nicolas, Manuel, Emilie, Stéphanie, Jennifer, Damien, Laurent, Lilian, Marc, Orianne, Sonia, Maryline et Sandrine. Avec le concours technique de Guillaume Garçon, Professeur de Lettres-Histoire au lycée Pablo Néruda.

Le texte fondateur

Bien qu’Orphée soit un mythe du monde antique qui connut de nombreuses interprétations, c’est le texte d’Ovide, Les Métamorphose, qui servit de référence pour le plupart des lectures modernes (dont l’Orfeo de Monteverdi). Dans cette page, vous trouverez des extraits traduits et une analyse simplifiée des éléments qui composent le mythe fondateur.

Tout d’abord, voici quelques extraits traduits :

Livre dixième

La quête d' Eurydice

Vers 1 à 39

De là, Hyménée, couvert de son manteau couleur de safran, s'éloigne à travers l'immensité des airs; il se dirige vers la contrée des Ciconiens où l'appelle vainement la voix d'Orphée. Il vient, il est vrai, mais il n'apporte ni paroles solennelles, ni visage riant, ni heureux présage. La torche même qu'il tient ne cesse de siffler en répandant une fumée qui provoque les larmes; il a beau l'agiter, il n'en peut faire jaillir la flamme. La suite fut encore plus triste que le présage; car, tandis que la nouvelle épouse, accompagnée d'une troupe de Naïades, se promenait au milieu des herbages, elle périt, blessée au talon par la dent d'un serpent. Lorsque le chantre du Rhodope l'eut assez pleurée à la surface de la terre, il voulut explorer même le séjour des ombres; il osa descendre par la porte du Ténare jusqu'au Styx; passant au milieu des peuples légers et des fantômes qui ont reçu les honneurs de la sépulture, il aborda Perséphone et le maître du lugubre royaume, le souverain des ombres ; après avoir préludé en frappant les cordes de sa lyre il chanta ainsi. " O divinités de ce monde souterrain où retombent toutes les créatures. mortelles de notre espèce, s'il est possible, si vous permettez que, laissant' là les détours d'un langage artificieux, je dise la vérité, je ne suis pas descendu en ces lieux pour voir le ténébreux Tartare, ni pour enchaîner par ses trois gorges, hérissées de serpents, le monstre qu'enfanta Méduse; je suis venu chercher ici mon épouse; une vipère, qu'elle avait foulée du pied, lui a injecté son venin et l'a fait périr à la fleur de l'âge. J'ai voulu pouvoir supporter mon malheur et je l'ai tenté, je ne le nierai pas; l'Amour a triomphé. C'est un dieu bien connu dans les régions supérieures, l'est-il de même ici? Je ne sais; pourtant je suppose qu'ici aussi il a sa place et, si l'antique enlèvement dont on parle n'est pas une fable, vous aussi vous avez été unis par l'Amour. Par ces lieux pleins d'épouvante, par cet immense Chaos, par ce vaste et silencieux royaume, je vous en conjure, défaites la trame, trop tôt terminée, du destin d'Eurydice. Il n'est rien qui ne vous soit dû ; après une courte halte, un peu plus tard, un peu plus tôt, nous nous hâtons vers le même séjour. C'est ici que nous tendons tous; ici est notre dernière demeure; c'est vous qui régnez le plus longtemps sur le genre humain. Elle aussi, quand, mûre pour la tombe, elle aura accompli une existence d'une juste mesure, elle sera soumise à vos lois; je ne demande pas un don, mais un usufruit. Si les destins me refusent cette faveur pour mon épouse, je suis résolu à ne point revenir sur mes pas; réjouissez-vous de nous voir succomber tous les deux. "

Liber Decimus

Vers 1 à 39

 

Inde per inmensum croceo uelatus amictu Aethera digreditur Ciconumque Hymenaeus ad oras Tendit et Orphea nequiquam uoce ucatur. Adfuit ille quidem, sed nec sollemnia uerba Nec laetos uoltus nec felix attulit omen. Fax quoque, quam tenuit, lacrimoso stridula fumo Vsque fuit nullosque inuenit motibus ignes. Exitus auspicio grauior; nam nupta per herbas Dum noua Naiadum turba comitata uagatur, Occidit in talum serpentis dente recepto. Quam satis ad superas postquam Rhodopeius auras Defleuit uates, ne non temptaret et umbras, Ad Styga Taenaria est ausus descendere porta; Perque leues populos simulacraque functa sepulcro Persephonen adiit inamoenaque regna tenentem Vmbrarum dominum pulsisque ad carmina neruis Sic ait : " O positi sub terra numina mundi In quem reccidimus, quicquid mortale creamur; Si licet et falsi positis ambagibus oris Vera loqui sinitis, non huc, ut opaca uiderem Tartara, descendi, nec uti uillosa colubris Terna Medusaei uincirem guttura monstri; Çausa uiae coniunx, in quam calcata uenenum Vipera diffudit crescentesque abstulit annos. Posse pati uolui nec me temptasse negabo; Vicit Amor. Supera deus hie bene notus in ora est; An sit et hic, dubito; sed et hic tamen auguror esse; Famaque si ueteris non est mentita rapinae, Vos quoque iunxit Amor. Per ego haec loca plena timoris, Per Chaos hoc ingens uastique silentia regni, Eurydices, oro, properata retexite fata. Omnia debentur uobis paulumque morati Serius aut citius sedem properamus ad unam. Tendimus huc omnes, haec est domus ultima uosque Humani generis longissima regna tenetis. Haec quoque, cum iustos matura peregerit annos, Juris erit uestri; pro munere poscimus usum. Quod si fata negant ueniam pro coniuge, certum est Nolle redire mihi; leto gaudete duorum".

    

Le retour solitaire (Vers 40 à 85)

Tandis qu'il exhalait ces plaintes, qu'il accompagnait en faisant vibrer les cordes, les ombres exsangues pleuraient; Tantale cessa de poursuivre l'eau fugitive; la roue d'Ixion s'arrêta; les oiseaux oublièrent de déclarer le foie de leurs victimes, les petites-filles de Bélus laissèrent là leurs urnes et toi, Sisyphe, tu t'assois sur ton rocher. Alors pour la première fois des larmes mouillèrent dit-on, les joues des Euménides, vaincues par ces accents; ni l'épouse du souverain, ni le dieu qui gouverne les enfers ne peuvent résister à une telle prière; ils appellent Eurydice; elle était là, parmi les ombres récemment arrivées; elle s'avance, d'un pas que ralentissait sa blessure. Orphée du Rhodope obtient qu'elle lui soit rendue, à la condition qu'il ne jettera pas les yeux derrière lui, avant d'être sorti des vallées de l'Averne; sinon, la faveur sera sans effet. Ils prennent, au milieu d'un profond silence, un sentier en pente, escarpé, obscur, enveloppé d'un épais brouillard. Ils n'étaient pas loin d'atteindre la surface de la terre, ils touchaient au bord, lorsque, craignant qu'Eurydice ne lui échappe et impatient de la voir, son amoureux époux tourne les yeux et aussitôt elle est entraînée en arrière; elle tend les bras, elle cherche son étreinte et veut l'étreindre elle-même; l'infortunée ne saisit que l'air impalpable. En, mourant pour la seconde fois elle ne se plaint pas de son époux; (de quoi en effet se plaindrait-elle sinon d'être aimée?) elle lui adresse un adieu suprême, qui déjà ne peut qu'à peine parvenir jusqu'à ses oreilles et elle retombe à l'abîme d'où elle sortait. En voyant la mort lui ravir pour la seconde fois son épouse, Orphée resta saisi comme celui qui vit avec effroi les trois têtes du chien des enfers, dont celle du milieu portait des chaînes; sa terreur ne le quitta qu'avec sas forme première, quand son corps fut changé en pierre; tel encore cet Olénos qui prit sur lui la faute de son époux et voulut paraître coupable; telle tu étais aussi, ô malheureuse Léthéa, trop frère de ta beauté; cœurs jadis, étroitement unis, ce ne sont plus aujourd'hui que des rochers sur l'humide sommet de l'Ida P. Orphée a recours aux prières; vainement il essaie de passer une seconde fois; le péager le repousse, il n'en resta pas moins pendant sept jours assis sur la rive, négligeant sa personne et privé des dons de Cérès; il n'eut d'autres aliments que son amour, sa douleur et ses larmes. Accusant de cruauté les dieux de l'Érèbe, il se retire enfin sur les hauteurs du Rhodope et sur l'Hémus battu des Aquilons. Pour la troisième fois le Titan avait mis fin à l'année, fermée par les Poissons, habitants des eaux, et Orphée avait fui tout commerce d'amour avec les femmes, soit parce qu'il en, avait souffert, soit parce qu'il avait engagé sa foi; nombreuses cependant furent celles qui brûlèrent de s'unir au poète, nombreuses celles qui eurent le chagrin de se voir repoussées. Ce fut même lui qui apprit aux peuples de la Thrace à reporter leur amour sur des enfants mâles et à cueillir les premières fleurs de ce court printemps de la vie qui précède la jeunesse.

Vers 40 à 85.

 

Talia dicentem neruosque ad uerba mouentem Exsangues flebant animae; nec Tantalus undam Captavit refugam stupuitque lxionis orbis, Nec carpsere iecur uolucres urnisque uacarunt Belides inque tuo sedisti, Sisyphe, saxo. Tunc primum lacrimis uictarum carmine fama est Eumenidum maduisse genas; nec regia coniunx Sustinet oranti, nec qui regit ima, negare Eurydicenque uocant; umbras erat illa recentes Inter et incessit passu de uulnere tardo. Hanc simul et legem Rhodopeius accipit Orpheus, Ne flectat retro sua lumina, donec Auernas Exierit ualles; aut irrita dona futura. Carpitur accliuis per muta silentia trames, Arduus, obscurus, caligine densus opaca. Nec procul afuerant telluris margine summae; Hic, ne deficeret metuens auidusque uidendi, Flexit amans oculos et protinus illa relapsa est; Bracchiaque intendens prendique et prendere certans, Nil nisi cedentis infelix arripit auras. Iamque, iterum moriens non est de coniuge quicquam Questa suo (quid enim nisi se quereretur amatam?,), Supremumque " uale ", quod iam uix auribus ille Acciperet, dixit, reuolutaque rursus eodem est. Non aliter stupuit gemina nece coniugis Orpheus Quam tria qui timidus, medio. portante catenasColla canis uidit, quem non pauor ante reliquit Quam natura prior, saxo per corpus oborto.; Quique in se crimen traxit noluitque uideri Olenos esse norens, tuque, o confisa figurae, Infelix Lethaea, tuae, junctissima quondam Pectora, nunc lapides, quos umida sustinet Ide. Orantem frustraque iterum transire uolentem Portitor arcuerat; septem tamen ille diebus Squalidus in ripa Cereris sine munere sedit; Cura dolorque animi lacrimaeque alimenta fuereEsse deos Erebi crudeles questus, in altam Se recipit Rhodopen pulsumque aquilonibus Haemum. Tertius aequoreis inclusum Piscibus annum Finierat Titan omnemque refugerat Orpheus Femineam Venerem, seu quod male cesserat illiSiue fidem dederat; multas tamen ardor habebat Iungere se uati; multae doluere repulsae. Ille etiam Thracum populis fuit auctor amorem In teneros transferre mares citraque iuuentam Aetatis breue uer et primos carpere flores.

Une analyse simplifiée du mythe d’Orphée

 Le mythe d’Orphée,tel qu'il fut décrit par les écrivains antiques dont Ovide, ainsi que dans les interprétations plus modernes, est composé d’éléments successifs, de péripéties, qui structurent la narration ainsi que les leçons à tirer. La compréhension du mythe passe par l'analyse de ces éléments constitutifs, les mythèmes, et de leur fréquence. Gilbert Durand, dans son article « Les Nostalgies d’Orphée. Petite Leçon de Mythanalyse » (http://www.unites.uqam.ca/religiologiques/no15/durand.html) nous aide à mieux les saisir.

L'histoire d'Orphée est divisée en quatre séquences.

La première aventure se passe en Colchide, où il accompagne les Argonautes. Là bas, Orphée est initié aux mystères de Samothrace, régis par les Cabires, grands dieux aux noms secrets.

La deuxième aventure évoque l'amour et la mort d'Eurydice: Orphée descend aux enfers et apprend les secrets de la Nekuia.

Dans le troisième épisode, de retour en Thrace après la deuxième mort d'Eurydice, il s'isole dans la solitude, fonde une société secrète, interdite aux femmes et réservée aux hommes initiés.

La dernière des aventures, la quatrième, exprime le miracle de la musique. Orphée fut découpé en morceaux par les Bacchantes, mais sa tête continua de chanter et la lyre de jouer sans son corps. Dans ces quatre épisodes, le thème du héros initiateur est constant.

Des mythèmes importants décrivent les épreuves d'initiation. Orphée est toujours en position de maître: lorsqu'il est Argonaute, il maîtrise les éléments. Lors de la descente aux enfers , il dompte Cerbère, charme Hadès et Perséphone. Cependant de retour en Thrace, il est poursuivi par les femmes et dépecé ou selon une autre version il est foudroyé par Zeus.

Selon Gilbert Durand, un des aspects les plus importants dans le parcours orphique est le thème du "nostos", le retour.

- dans la Première séquence, Orphée a pour mission de ramener l'âme de Phrixos, qui donna la toison d'or au roi de Colchide.

- dans la seconde séquence, Orphée se retourne pour regarder Eurydice.

- dans la troisième séquence, il retourne au pays natal.

- et enfin dans la quatrième séquence les restes d'Orphée, dépecés et jetés à l'eau, (la tête et la lyre), sont ramenés en Thrace pour arrêter la peste qui ravage le pays.

Enfin un mythème-objet semble très important: la lyre.

- dans la première séquence, Orphée accompagné de la cithare à neuf cordes surpasse le chant des sirènes et sauve ses compagnons de la séduction.

- dans la descente aux Enfers, grâce à la lyre-cithare, il charme les divinités infernales, et obtient le retour d'Eurydice.

- dans la troisième séquence, la lyre est moins présente: Ovide raconte cependant qu'il charme les arbres et les animaux.

- dans la dernière séquence, elle réapparaît puisque la tête et la lyre échappent à la mort.

 

Les étudiants du Lycée Pablo Neruda.

Orphée, un jeune homme vieux comme l'Humanité.

page d'accueil.