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Lecture de la passion selon St Jean de J.S. Bach

 

La Passion selon St-Jean

Si la première représentation de la Passion selon St-Jean a lieu en 1724, Bach reprendra celle-ci pour la remanier, d'abord en 1725, puis probablement entre 1728 et 1731. Une dernière révision autour de 1746 aura lieu. Les deux versions extrêmes sont très semblables.
C'est cependant la troisième version qui sera utilisée pour ce concert. Dans cette version, Bach, entre autres modifications, supprime des passages empruntés à l'Evangile selon St-Matthieu et conclut la Passion sur le magnifique chœur " Ruht Wohl ".

Les personnages de la Passion :

L'évangéliste : C'est le personnage-clé de l'œuvre, la clef de voûte de tout l'édifice. Il déclame le texte de l'évangile dans un récitatifs, le plus souvent " secco ", syllabique, a capella ou avec un accompagnement réduit à sa plus simple expression. Chez Bach, comme chez beaucoup de compositeur, il s'agit d'un ténor. Dans la tradition médiévale, la partie de " teneur " est celle qui soutient toute la polyphonie. Ici, le ténor évangéliste tient et porte le texte tout au long de l'œuvre.
Jésus : Toujours par tradition, ce rôle est confié à un baryton ou une basse, la voix de la majesté divine. Aucun air n'est chanté par le personnage de Jésus. Il ne s'exprime qu'à travers le récitatif.
Pilate est un baryton et comme tous les personnages caractérisés, ne s'exprime qu'à travers le récitatif. On confie au chanteur assurant ce rôle les airs de basse mais ce n'est alors pas Pilate qui s'exprime.
Pierre, une servante, un serviteur ont, dans la Passion selon St Jean, des interventions assez brèves. Ces rôles seront confiés, comme souvent, à des chanteurs issus du chœur.
Les soldats, le Peuple des Juifs, " turba " (foule) chantée par le chœur, il s'agit de personnages tout à fait caractérisés. Ce type de chœur se distingue très nettement de celui qui chante les chorals.

Jean-Sébastien Bach a réussi dans ses œuvres sacrées à mettre la musique au service de la foi de manière à impressionner son auditoire et lui faire recevoir le message délivré par l'Evangile. Dans ses Passions il met au service de ce but tout son art : écriture symbolique, figuralismes, juste emploi des timbres et de l'instrumentation, rien n'est laissé au hasard.

Brève analyse de l'œuvre :

Quelques clefs pour écouter la Passion selon St-Jean. Les numéros indiqués sont ceux de la partition utilisée pour cette représentation.

I) Première partie : La trahison et l'arrestation

N°1 : Dès le chœur d'entrée on sait que c'est à un drame que nous allons assister. Tout au long de ce " Herr, unser Herrsher " (Seigneur, notre maître) une succession coulée et hésitante des doubles croches est jouée aux violons puis est reprise par le chœur et même la basse continue. Ce motif envahissant et tournoyant figure les tourments à venir de la Passion. Drame annoncé mais aussi événement grandiose qui changera la face du Monde.
N°3 : C'est la première entrée du chœur dans un rôle caractérisé, celui des soldats. L'intervention suivante (N°7) est un choral.
N°11 : L'air d'alto " Von den Stricken meiner Sünden " (Des liens de mes péchés) est construit sur un motif quasiment obstiné tout au long de l'air. Les deux hautbois et le basson décrivent des lignes mélodiques propre à figurer les liens dont parle le texte. On peut remarquer aussi le motif descendant sur le mot " Sünden " (péchés) et le motif le plus souvent ascendant et lumineux sur le mot " entbinden " (libérer, détacher).
N°13 : L'air de soprano " Ich folge dir gleichfalls mit freudigen Schritten " (Je te suis d'un pas plein d'allégresse) est d'une toute autre atmosphère, la tonalité de si bémol majeur y est pour quelque chose, contrastant avec le ré mineur du précédent. Les doubles croches des flûtes s'écoulent ici de manière sure et régulière, le route est tracée, la voie est claire on la suit en toute confiance comme le texte nous y invite.
N°14 : Il s'agit d'un moment dramatiquement important, c'est le premier reniement de St Pierre. Une servante interroge Pierre en lui demandant s'il ne faisait pas partie des disciples de Jésus. Pierre répond " Ich bin's nicht ! " (Ce n'est pas moi).
N°17 : C'est cette fois la " turba " qui interroge Pierre, qui renie une deuxième fois Jésus.
N°18 : Puis un serviteur interroge de nouveau Pierre qui nie une troisième fois. " Und alsobald krähete der Hahn ", le chant du coq, prophétisé par Jésus, retentit alors, symbolisé par une montée de doubles croches aux cordes de la basse. Le récitatif change soudain d'atmosphère et se transforme quasiment en arioso sur les mots " weinete bitterlich " (il pleura amèrement), dans une longue plainte étirée et désespérée.
N°19 : L'air " Ach, mein Sinn " (Ah, mon esprit), agité et tourmenté, traduit la quasi-démence de Pierre, rongé par le remords.
N°20 : Le chœur qui clôture cette première partie reprend l'argument et le thème du reniement pour rappeler au fidèle son devoir de souvenir dans la plus grande sincérité et simplicité. Simplicité et sincérité sont traduites ici par une harmonisation du choral presque sans ajouts ni ornementations.

II) Deuxième partie : Du procès devant Pilate jusqu'à la crucifixion et la mise au tombeau

N°21 : Le choral " Christus, der uns selig macht " (Christ, toi qui nous fait bienheureux) reprend la simplicité de celui qui clôturait la première partie. Toutefois, dans les mot " fälschlich verklaget, verlacht, verhönnt und verspeit " (faussement accusé, moqué, bafoué et insulté), Bach introduit dans son écriture un grand nombre de fausses relations harmoniques et des dissonances pour souligner la corruption des accusateurs.
N°22 : Jésus est conduit devant le palais de Pilate. Celui-ci demande au Peuple pourquoi il l'amène.
N°23 : La " turba " répond aigrement qu'elle ne l'aurait pas amené sans de bonnes raisons. C'est la première d'une série d'interventions particulièrement véhémentes de cette foule déchaînée. L'écriture traduit ici l'impatience de la foule qui semble attendre une condamnation rapide. Ici aussi, la fausseté des accusations est rendue par un grand nombre de dissonances et un rythme saccadé, haché et confus.
N°24 : Pilate demande au Peuple pourquoi il ne le juge pas lui-même.
N°25 : " Wir dürfen niemant töten " (Nous n'avons le droit de tuer personne). La majorité des dissonances est concentrée sur le mot " töten ".
N°26 : L'interrogatoire de Jésus par Pilate commence. L'art de Bach en matière de récitatif se révèle pleinement à partir de ce moment. L'Evangéliste rappelle la prophétie du Christ prédisant sa propre mort. Le mot " sterben " est souligné de manière contrastée dans ce récitatif par l'emploi d'un mélisme expressif. Jesus répond à Pilate " Mein Reich ist nicht von dieser Welt " (Mon Royaume n'est pas de ce Monde), les mots " Mein Reich " sont toujours écrits en notes plus élevées que sur les mots " dieser Welt ", c'est l'opposition Ciel-Terre qui est ainsi soulignée. De même lorsque Jésus répond que si son Royaume avait été de ce monde, celui-ci aurait combattu contre son arrestation, le mot " kämpfen " (combattu) est souligné par un mélisme guerrier.
N°28 et 29 : Après la question de Pilate au Peuple pour lui demander s'il faut relâcher le Christ, la réponse de la foule est sans pitié " Nicht diesen, sondern Barabbas " (Pas celui-ci, mais Barabbas) en quatre mesures et de manière précipitée, doubles croches à l'orchestre et rythme saccadé au chœur.
N°30 : Ce récitatif de l'Evangéliste est un modèle de figuralisme. " Barrabas aber war ein Mörder " (Mais Barabbas était un meurtrier). La quinte diminuée, un intervalle particulièrement dissonant dans l'écriture classique, utilisée sur " Mörder " claque comme une menace. " Da nahm Pilatus Jesum und gei elte ihn " (Pilate prit Jésus et le fit flageller). Le mot " gei elte " est ici traité par une succession de doubles et triples croches pour l'Evangéliste, alors que la basse conduit une phrase en doubles croches pointées et triples croches. Ce rythme complexe figure de manière surprenante, presque choquante, la flagellation du Christ, le bruit du fouet à la basse, la souffrance et les cris du Christ dans la vocalise.
N°31 : L'arioso pour basse qui suit change totalement d'atmosphère. Il s'agit ici de traduire l'espérance de rédemption à travers les souffrances du Sauveur : " Betrachte, meine Seel, mit ängstlichen Vergnüden " (Contemple, mon âme, avec une joie troublée). La viole d'amour, instrument rare, est utilisée ici pour rendre toute la mélancolie de ce passage. De même les notes répétées de manière obstinée à la basse figurent les larmes de la Passion. Des dissonances s'ajoutent pour signifier les souffrances de la couronne d'épines. Les trois dernières mesures se terminent sans aucune dissonance pour conclure sur l'espérance.
N°32 : L'air " Erwäge, wie sein blurgefärbter Rücken " (Considère son dos couvert de sang) dans lequel violes et basses figurent les zébrures des blessures du Christ mais sans violence car ici il s'agit d'adorer ces blessures comme une représentation du Ciel, l'idée de l'arioso précédente est reprise ici.
N°34 : Le peuple se moque du Christ, hautbois et flûtes renforcent le caractère perfide de la foule.
N°36 : Le peuple réclame la crucifixion du Christ. C'est le chœur le plus dramatique et le plus fort de cette Passion. 24 mesures à 4 temps : le chiffre 4, les quatre branches de la croix, est présent tout au long de ce chœur. Le mot " Kreuzige " est répété plus d'une centaine de fois dans les quatre voix, le mot est martelé en croches et doubles croches, parfois, des tenues sur la syllabe " Kreu- " ainsi que des frottements de secondes mineures apportent une tension proche de la rupture dans ce chœur surexcité.
N°37 : Le peuple annonce qu'il a une Loi qui réclame la mort de celui qui s'est dit Fils de Dieu. Bach traduit le formalisme de la Loi par une écriture en style fugué, une forme savante et codifiée dans le langage musical.
N°42 : Après que Pilate ait hésité à libérer Jésus, la foule réclame de nouveau sa mort, un chœur fugué rappelle a Pilate de respecter son allégeance à César. Toujours une fugue sur le thème de la Loi.
N°44 et n°46 : Chœurs construits sur des motifs extraits du chœur " Jesum von Nazareth " de la première partie.
N°48 : Dans cet air de basse avec chœur, les motifs des cordes symbolisent le cheminement des croyants qui convergent pour assister à la Passion. Les croyants égarés demandent " Wohin " (Où ?), la basse répond " nach Golgatha " et montre la voie.
N°49 : Un des récitatifs les plus poignants de la Passion. " Allda kreuzigten sie ihn " (C'est là qu'il fut crucifié), une phrase particulièrement expressive dans une tonalité incertaine pour indiquer toute l'injustice de cette condamnation. La lecture de l'inscription placée sur la croix donne lieu sur deux mesures à une déclamation toute de majesté.
N°53 & 54 : Les soldats se disputent la tunique du Christ et décident de la jouer aux dès. Dans le chœur des soldats, on ne retrouve plus l'esprit de haine des chœurs précédent mais uniquement le jeu et l'indifférence. Le roulement des dés est parfaitement audible dans les mélismes en doubles croches sur le mot " losen " (tirer au sort), ceux de la basse et de l'orchestre.
N°57 : Le récitatif se termine par le mot de Jésus " Es ist vollbracht ! " (Tout est accompli) sur un mouvement conjoint descendant qui symbolise le mouvement Ciel-Terre mais aussi le mouvement Terre-tombeau. La Passion atteint ici une tension expressive extrême.
N°58 : L'air " Es ist vollbracht ! " débute en si mineur avec une partie de viole et un accompagnement de théorbe. Il reprend l'idée d'accomplissement et de descente au tombeau. Le mouvement central, fait appel aux cordes de l'orchestre et est écrit dans la tonalité guerrière de ré majeur, pour décrire la victoire du héros de Judée dans son combat. Une autre forme d'accomplissement.
N°59 : Deux mesures pour un chef-d'œuvre dans l'art du récitatif. " Und neigte das Haupt und verschied " (En baissant la tête, il rendit l'âme). La tête s'incline sur une quinte descendante bien que le mot " Haupt " (tête) soit la note la plus haute de la phrase. " und verschied " descend dans le grave sans accompagnement de la basse. Un moment de très grand recueillement.
N°60 : Après le drame, la méditation et la réflexion dans cet air de basse avec chœur. Bach nous invite à méditer sur la leçon de cette Passion.
N°61 : Un récitatif figuré : le voile du Temple se déchire, grande descente de cordes à la basse ; puis la terre se met à trembler (" und die Erbe erbete "), tremblements à la basse.
N°62 : Arioso " Mein Herz ! ". Le tremblement de terre se poursuit aux cordes par les notes répétées en triples croches.
N°63 : L'air de soprano qui suit " Zerfliessen mein Herze, in Fluten der Zähren " (Fonds-toi mon cœur, dans un flot de larmes). Flûtes, hautbois " da caccia " et basson donnent une atmosphère de profonde tristesse et de mélancolie qui tranche avec le déchaînement des éléments des numéros précédents. A remarquer, les longues tenues aiguës sur " Höchsten " (Très-Haut) ; les notes liées par deux à l'orchestre figurant les sanglots ; Sur " Dein Jesus ist tot " (Ton Jésus est mort), le mot " tot " est prononcé sur une dissonance, lorsqu'il est répété, c'est sur une descente chromatique.
N°67 : Ce grand air " Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine " (Repose en paix, dépouille sacrée) est écrit sur un rythme de berceuse. Le texte annonce la résurrection prochaine, l'atmosphère est donc paisible, sereine, confiante.
N°68 : La Passion se termine par le choral " Ach Herr, lass dein lieb Engelein ", qui exprime que le sacrifice de Jésus a permis à tous les croyants d'espérer en une vie éternelle après la mort. La tonalité de mi bémol majeur est une tonalité très souvent utilisée dans la musique allemande pour exprimer le recueillement.

© Hervé Lauret
Pour plus de détails sur les constantes expressives dans le langage musical de Bach : http://musique.baroque.free.fr

Introduction à la passion selon St Jean

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